le fil du futur; by Lucie Mbogni Nankeng (Présidente de l’association lessa’a)

Conçue dans le cadre du projet de recherche transnational « Reconnecting “Objects”. Pluralité épistémique et pratiques transformatrices dans et au-delà des musées » (2021-2025), l’exposition « Branching Streams. Esquisses de parenté » réunit chercheurs et artistes opérant entre l’Afrique et l’Europe. Bien que la 15e Biennale d’art africain contemporain de Dakar ait été reportée, notre exposition au Musée Théodore Monod d’art Africain/IFAN s’est tenue comme prévu (du 18 mai 2024 au 30 septembre 2024), offrant un espace collaboratif aux approches plurielles et feconds. 

ET SI LE FIL TRADUISAIT LES LANGAGES DU FUTUR…

Une Exposition au Musée d’Art Africain Théodore Monod de Dakar

Telle une onde sonore qui connecte ou déconnecte les espaces virtuels ou réels,

Une raison d’être au monde ?

Une formule matérielle et métaphorique de conservation et de transmission ?

Une traduction d’une continuité, d’une discontinuité ou d’un dialogue des contextes ?

Une vibration qui rapproche les sensibilités et oriente le regard ?

Une relation ontologique des mondes extérieurs et subjectifs ?

Une liaison des géographies, des histoires et des mémoires ?

Un moule chromosomique qui forge et relie l’infiniment plus grand ou l’infiniment plus petit ?

Une toile qui emprisonne et libère en même temps ?

Un outil politique, diplomatique et stratégique ?

Une création de nouveaux imaginaires du futur ?

Une manière d’imaginer de nouveaux langages pour les musées du futur qui seraient : multimodales, panafricains (futuristes), intersectionnels et multicentrés ?

Le fil circule et suggère le mouvement d’une trame narrative entamée depuis Dschang au Cameroun en février 2023. Sa réalité relationnelle met en résonances divers espaces alternatifs de conservation et de transmission des savoirs et des mémoires dans et surtout au-delà de l’enfermement dans les murs. Le mouvement et la connectivité rappelée par le fil s’inscrit en effet dans le caractère dynamique de ces espaces de conservation/transmissions que sont entre autres les greniers, les calebasses-réserves des semences, des sanctuaires avec la notion de soins, des paniers aux tissages localement pédagogiques, et surtout la navette du tisserand qui permet métaphoriquement et concrètement le métissage d’histoires et de mémoires fécondes.

Le fil et ses métaphores de reconnexion et du lien ou de la rencontre proposent de faire attention aux contextes et à toute réalité faisant sens auprès de communautés locales, dans le processus de réimagination des musées du futur. Peu importe le fait linguistique dans lequel il se traduit et le fait social dans lequel il prend corps, le fil est au centre de la constellation créative qui anime cette réflexion. Ce fil convoque les substrats linguistiques et socioculturels pour créer un mouvement qui croise le local et le global, traverse les épistémés panafricaines et porte des utopies décoloniales de conservation et de transmission des savoirs dans et surtout au-delà du musée.

Sa circulation rhizomique ou discontinue, participe à la création qui échappe parfois au contrôle et libère les possibles. En évitant d’une part des expérimentations hors-sol, et d’autre part des gestes essentialistes qui proposeraient le retour à une Afrique mythique et exotique, les langages du futur tissés visuellement et métaphoriquement par le fil multiforme et organique au cœur de cette recherche-création participative, désaffilient les géographies situées/figées, pour penser de nouvelles formes de pluralités qui se démarquent de la notion de permanence prétendument indispensable à l’existence du réel. Loin du comparatisme avec les approches classiques, il s’agit d’imaginer des langages qui font sens auprès des publics, avec qui il est essentiel de travailler ces utopies en observant leurs métamorphoses.  À partir d’un questionnement et d’une imagination des pratiques muséales alternatives, cette occurrence voudrait conceptuellement et visuellement penser une multitude de modèles, d’approches et de langages qui prennent en compte des paramètres symétriques, linguistiques, contextuels, relationnels, éthiques et esthétiques dans des dynamiques contemporaines.

En plus, il s’agit davantage dans cette conceptualisation, de donner ou de figurer la vie et une âme au musée, de mettre un accent sur la notion de soin des corps, des âmes et des objets, pour porter un regard interrogatif sur la notion de dé territorialité et la relocalisation des « objets » dans les musées. Imaginer des espaces futurs collaboratifs et fédérateurs qui intègrent l’altérité, l’ordinaire ou le public d’en bas, s’organise à travers la présence physique et symbolique représentative de leur vie de tous les jours dans la scénographie de cette réflexion.  Ceci est de nature à éviter la revanche des contextes quant à la réinvention des nouvelles approches muséales décoloniales. Penser le fil par le tissage qui connecte les réserves matrimoniales et patrimoniales ordinaires aux archives classiques du musée et qui propose une opération dynamique, suggère une hospitalité au musée panafricainement recomposé.

L’archétype de l’araignée et surtout la navette du tisserand au centre de cette constellation, expriment de façon visuelle et métaphorique, la vertu de l’absorption, de la transformation et de la création que les cosmogonies des grassfields, des Sénégalais et des Africains tous entiers, reconnaissent à cet animal de la divination qu’est l’araignée. L’intention est ainsi de permettre symboliquement à cet animal de la transfiguration, de participer à la construction des utopies langagières et pratiques des musées du futur en créant l’élément primordial qui lie et unie, mais surtout qui connecte les espaces géographiques, les subjectivités humaines, les complexités existentielles, les énergies nouvelles, les épistémés parfois contradictoires, des continuités malgré des ruptures possibles, dans et au-delà des murs. Les idées du mouvement, de perception, de la circulation, de la relation, de la figuration et de la co-construction, du dialogue ou de la connexion, sont essentielles dans cette distribution du fil libéré par l’araignée et réarticulé par la navette du tisserand qui organise ce propos.

En effet, en relevant la dimension sculpturale, la navette du tisserand matérialise le geste de création et du tissage des liens et des imaginaires qui traversent les barrières internes et externes au musée, pour faire des langages muséaux du futur, des possibilités de dynamisme co-construit. La dimension organique mise en exergue, associée à la performance symbolique des éléments ordinaires de la vie des banlieues sénégalaises et des villages camerounais, exprime l’idée de l’acceptation du renouvèlement constant depuis le musée vers d’autres espaces-musées (greniers traditionnels, calebasses, réserves des graines de semences, paniers remplis de graines, symboles de l’hospitalité et du partage, donnant un sens à l’altérité, etc..). Elle figure aussi la mort possible et la réincarnation ou la transformation dans une nouvelle éthique dynamique et contingente non fusionnelle, mais rhizomique, capable de créer à chaque fois de nouvelles formes. À partir du détachement et de la connexion à travers le fil libéré par l’araignée, ce travail s’inscrit dans un esprit de rupture et de continuité depuis l’intérieur de la case, du musée et de l’environnement immédiat du musée. En se désaffiliant d’une approche nostalgique, backgroundée, ou référée depuis les dynamiques du dehors au sens où l’entend Georges Balandier. Ce concept imagine donc la formulation expérimentale et complexe attachée au réel Africain et aux catégories porteuses de sens et de puissances dans les contextes locaux, dans et au-delà des musées.

INSTALLATION

Conçu depuis le Cameroun, ce module met en dialogue, les créations de quatre artistes camerounais en partie développées à Dschang, dans le cadre de l’exposition et des rencontres « reconnect » en février 2023 (Sidoine Yonta, Serges Demefack, Lauriane Yougang et Stévie Douanla et du réalisateur du film de cette exposition-workshop Sammy pro et al). Leurs divergences techniques et leurs approches artistiques plurielles se rencontrent autour du « nkeuu-  fil- weugne » et de ses métaphores.

Le choix des couleurs vives et urbaines (le rouge et le blanc) pour cette installation n’est pas fortuit. Le rouge représente pour cette utopie panafricaine et décoloniale, les couleurs de la vie, de la re-naissance, de la re-connexion et du renouvèlement souhaité depuis l’architecture complète du musée. Elle est inscrite dans les gisements culturels et cosmogoniques africains et attachée à l’univers de la femme.  Cette couleur rouge pâle ou vive selon les circonstances, matérialise la vie, la fécondité et la procréation souhaitée au musée pour imaginer sa mutation. Le blanc qui est l’une des couleurs primordiales dans les cosmogonies africaines suggère la complexité et l’extrême simplicité du geste, le deuil thérapeutique et l’espoir envisagé pour de possibles rencontres réelles dans et hors des murs.

Partant d’un état nuageux, complexe et en sentier, faisant émerger les questions de la récupération, de la transformation et de la ré-création à l’image de l’araignée, le revêtement extérieur de l’installation est pris en charge par l’univers féminin en perpétuelle transformation développé par l’artiste Lauriane Yougang, et par la mosaïque sur récupération textile et organique de Serges Demefack.  Le cœur de l’installation offre un environnement conscient et expectatif avec la densification progressive des énergies qui fait émerger l’archétype de l’araignée avec sa toile en nuage au sommet de la case et la navette du tisserand au beau milieu de cette constellation.

Mosaïque sur récupération textile et organique de Serges Demefack

Répresentation de l’univers féminin en perpétuelle transformation par Lauriane Yougang

Le processus de récupération, de manipulation du fil et de sa transformation est expérimenté par l’artiste Stévie Douanla avec la combinaison des tissus traditionnels africains. Loin d’être une reproduction nostalgique des cases traditionnelles bamilékées du Cameroun, le squelette de la case construit dans le Musée, exprime une réaction contradictoire ou une tension symbolique avec ce legs colonial. Cette perturbation, sous forme de case, constitue également un questionnement sur l’altérité et les mémoires déterritorialisées dans les processus de translocations coloniales, pour reprendre Bénédicte Savoy dans son long combat de l’Afrique pour son art  (Bénédicte Savoy, 2023). Elle représente aussi une invitation à associer les références locales à la construction du narratif dans le musée et surtout au-delà. 

Récupération, manipulation et transformation du fil expérimenté par Stévie Douanla

Exploration de la figure du forgeron par Sidoine Yonta

La figure du forgeron, explorée par l’artiste Sidoine Yonta, prolonge l’installation à l’extérieur de la case (en arrière), pour laisser apparaitre une métaphore de la création des langages du musée autrement, synthèse des mémoires intersubjectives. L’aspect urbain et profane de l’espace est pris en charge par les sacs de l’artiste Stevie Douanla qui, par un geste progressif, passe le témoin de cette concentration mémorielle et symbolique aux enfants dans leur médiathèque à travers l’escalier du musée.

Le rappel de la navette du tisserand à l’extérieur du musée utilise le fil pour irradier et mettre en relation d’autres langages et d’autres archives vivantes.  Loin d’être un simple objet, la navette chargée d’une antériorité et d’une intériorité, est une archive dont la présence matérialise les possibilités de croisement, du mouvement mental et symbolique, grâce à son déploiement assisté du fil. Chaque fibre transporte une histoire qui se vit et se rencontre avec d’autres histoires pour imaginer au final, une histoire différente. Le fil matériel devient de fait, le fil conducteur d’un processus de création inachevée, en perpétuel mouvement, toujours en train de se faire et se défaire articulé par un rythme vibratoire qui vitalise l’ensemble. Chacun des artistes priorise un angle de perception des différentes facettes de l’araignée dans un espace en spirale.

ESPACE RECHERCHE

LUCIE MBOGNI NANKENG

Archives alternatives ordinaires

Cette installation sur piliers et socles est le support symbolique de la relation, situé entre l’absence et la permanence, aux marges du vide et du potentiellement comblé, de la prévision et de l’hospitalité ayant une saillance sur l’humain. Mettant en dialogue des espaces-réserves locaux, des graines de semences pour une germination des langages du futur, des éléments matériels du partage et de l’hospitalité africaine, cette exploration vise à donner une certaine âme non seulement au Musée, mais aussi et surtout, à la combinaison des réalités humaines et symboliques qui forment cette écologie.  Au fondement de toute existence, il y a un pouvoir de germination et de connexion du réel et de l’imaginaire.

Le soin est également un élément essentiel pour tout être vivant, qu’il soit humain ou non humain, et que ce soin soit matériel ou immatériel.  La présence des éléments rappelant l’ordinaire des communautés africaines au-delà des nations est une intention et une invitation à porter le regard sur une humanité relative, inscrite dans une sorte de continuité avec les non-humains dont la relation fructueuse est fonction des gestes de soins mutuels. L’homme devant être aux plantes, ou aux autres outils organiques entretenant sa vie au quotidien, ce que ces plantes sont aussi pour lui, humain.

Dans ce procès, ce musée a donc besoin d’âme pour devenir un espace de vie et de création des possibles dont le soin est de nature à permettre l’éclosion d’un espace fédérateur co-construit depuis les marges. Il relativise la notion de l’art qui, dans les contextes africains, englobe l’esthétique et les usages, le réel et le figuré. L’aspect matériel visuellement présent n’invisibilise donc pas l’aspect symbolique immatériel dont la combinaison et le caractère vivant ou participatif au quotidien sont autant de forces pour les existants.

Installation sur piliers et socles – Archives alternatives ordinaires

Composition : calebasse de 40 cm de diamètre, grenier grassfields camerounais, panier circulaire de 40 cm de diamètre, contenant des graines de semences, du maïs en épis, jujubes, noix de Cola, sel, huile rouge, arbre de Paix. Deux navettes du tisserand de 60 cm de long (éléments chargés de sens et symboles de connexion, d’hospitalité et de transmission depuis les cartographies sociales africaines).

                                                            FILM

Reportage filmique des rencontres et de l’exposition « Reconnecter les objets, les savoirs et/avec les sujets », organisée à Dschang, du 18 au 28 février 2023, 

Full HD, vidéo, 18,19’, image et montage : Sammy Pro, 2023-2024.

À VOUS LA NAVETTE

Espace de co-construction des langages du futur

Agir par l’intervention collective à partir d’un bout de fil, créer les imaginaires et les archives du futur grâce aux dialogues, aux frottements et aux transformations/réadaptations du fil. Cartographie collective faite d’autocollants circulaires multicolores et des stylos de couleur.

Source : image de Lucie Mbogni Nankeng, case Grassfields de la chefferie Bandjoun à l’ouest du Cameroun, mai 2023.

Concept : Lucie Mbogni Nankeng

Artistes : Serges Demefack, Stevie Douanla, Lauriane Yougang, Sidoine Yonta

En collaboration avec : Albert Gouaffo (Principal Investigator-Dschang) du projet « reconnecting Objects… ».

Ecriture : Dr. Lucie Nankeng
Edition et mise en page : Sidoine Mbogni

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