Exposition des dessins de Sergeo Demefack
DU 05 AU 10 DÉCEMBRE 2022 A L’AFCD- DSCHANG
Une exposition autrement
« Plus que jamais, l’Afrique est appelée à se redécouvrir elle-même en retrouvant les forces qui l’habitent, les dynamiques qui la traversent, les acteurs qui orientent sa vie dans le monde d’aujourd’hui. Elle doit aussi chercher à se comprendre en profondeur en examinant les réponses que les individus et les groupes apportent aux questions qu’ils se posent à partir de la vie quotidienne. À cet égard, il nous faut apprendre à regarder à nouveau le village en Afrique subsaharienne. »
Jean-Marc Ela Innovations sociales et renaissances de l’Afrique Noire. Paris, L’Harmattan, 1998, PP.145.
Cette réflexion de Jean-Marc Ela est une invite explicite à convoquer de nouvelles intelligences et à créer de nouveaux rapports au village en Afrique. Le travail de l’artiste Sergeo Demefack s’inscrit dans cette logique en créant un univers imaginaire et recomposé au travers des dessins.
Sergeo Demefack est un artiste plasticien, Camerouno-américain, juriste et spécialiste du développement international, ayant parcouru l’Afrique (du Maroc au Kenya en passant par l’Égypte, le Sénégal, le Rwanda et le Nigeria) en tant que consultant, sans jamais rompre avec sa casquette d’artiste. Il a donc observé patiemment la manière par laquelle les cultures locales se préservent, se croisent et se redynamisent.
Pendant plus de 20 années de résidence aux États-Unis, il a continué à créer et à construire un imaginaire à travers des dessins, lui rappelant sa terre natale réelle et plus souvent composée. Ses créations articulent les traits, signes et symboles et engagent plus particulièrement les réalités culturelles et architecturales Bamiléké qui ont modelé son enfance. Ses dessins expriment les matérialités d’une séparation s’inscrivant dans le temps et d’une connexion essentielle qui lie l’artiste à son terroir d’origine.
La singularité de ses dessins réside dans leur contexte de production et leur capacité à rentrer dans les tréfonds de l’être et de l’imaginaire pour produire des réalités visibles, retrouvant une existence concrète sur sa terre natale.
En effet, dans un état onirique ou nostalgique, Sergeo Demefack dessine. Au-delà de sa production matérielle et de sa création de sens, le travail de l’artiste bouscule les frontières du réel pour constituer une fibre vertueuse capable de le reconnecter à sa source culturelle et spirituelle. Le mélange de ses lignes parfois tiré de ses souvenirs et très souvent composite rejoint Frank Beuvier (2016) pour créer une affinité entre tradition et création (Création et tradition. Histoire d’une idéologie de l’art au Cameroun” Revue d’anthropologie et d’Histoire des arts, p. 136-163), et participe ainsi d’un chef-d’œuvre qui transcende le temps et l’espace, capable de féconder les énergies pour des pratiques créatives et culturelles du futur.
Ses croquis ont pour objectif de ré imaginé un univers métamorphosé de son Bamileke natal, et lui permettent de rester connecté à ses origines depuis sa nouvelle terre d’accueil.
On peut remarquer que chaque réalité qu’il vit dans sa société d’accueil l’amène à penser à sa société de départ. Dans une approche comparatiste, il se remémore, ce qui le plonge dans une nostalgie dont le dessin est le seul moyen de s’en échapper. La collection de dessins s’inscrit dans une démarche qui promeut la reconnexion avec ses racines et s’accommode avec le concept de « marcher avec sa culture ».
Son expression artistique à l’encre de Chine qu’il a découverte à Chinatown, participe du mélange et de la recomposition que l’artiste estime importants non seulement en tant que médiums de création, mais surtout comme instrument d’actualisation du dynamisme architectural et culturel bamileké. Son exposition à l’AFCD rentre dans l’approche inversée qu’il voudrait adopter pour répondre aux créations externalisées que l’on observe chez certains artistes contemporains.
Cette exposition participe à coup sûr au processus de valorisation du patrimoine culturel contextuel profondément ancré dans le sacré bamileké dont il est tributaire et désormais protecteur.
Créant une résonnance entre dessins et sculpture, son travail représente pour lui un outil didactique pour les plus jeunes. Il est question pour lui de leur offrir du « squelette » dont leur imagination pourrait leur permettre de charger ces dessins et de se réinventer., dans une combinaison de mathématique, d’art, d’histoire, de culture et d’architecture.
Quelques images de l’exposition
Une Exposition Autrement
Cette exposition temporaire de cinq jours du 05 au 10 décembre 2022 fut une expérience singulière ayant réuni le temps du vernissage plus d’une centaine de personnes. Moment chargé d’émotions et de questionnements, cette exposition aura cassé les codes classiques des expositions dès le vernissage. En effet, l’approche par le dessin en noir sur blanc choisi par l’artiste et ses toiles imprimées sur des bâches constituaient déjà un démantèlement des codes classiques et représentaient pour lui un moyen d’engager la réflexion auprès de son public et de faire de ses travaux, des bases pouvant servir d’outils didactiques dans le système éducatif local.
Un vernissage ayant connu la présence des fo’o de la communauté Bafou dont la présence visait à consacrer l’artiste, ses invités et ses œuvres. La présence massive de la population venue des villages environnants, l’improvisation des places assises effectivement occupées par ces populations et l’offre d’un cocktail essentiellement constitué des mets locaux, des jus naturels et des friandises locales à rendu ce moment véritablement singulier ayant bousculé les à priori, pour établir un contexte réflexif et engageant.
La disposition scénique en format mixte avec des dessins à la fois sur des panneaux, sur les murs et la clôture de la scène murale par une seule toile, la disposition mélangée au milieu de la sale des gigantesques piliers sculptés matérialisant la chefferie et sa forêt sacrée, suscitaient chez le visiteur le questionnement sur son historicité, son identité et sa reconnexion.
Le langage au-delà de l’image, les gestes lourds de sens des majestés présents, les improvisations que cette présence occasionna, la musique en life, le discours chargé d’émotion de l’artiste et un commissariat autrement, ont fait de ce vernissage et des jours qui l’ont suivi, une expérience ayant transcendé les normes classiques pour créer un moment de véritable reconnexion personnelle de l’artiste avec son terroir natal et les siens, et surtout une reconnexion du public à son moi profond. Le cahier des impressions et le narratif instantané de certains visiteurs en disaient long.
La clôture de cette exposition avec la visite et le travail de l’artiste avec les enfants du club « Art kids Lessa’a » aura été un moment expérimental ayant donné à penser à la multitude de possibilités et travailler l’aspect didactique ou pédagogique à partir des dessins et des circonstances de leurs créations ou de leurs démarches.
Article rédigé par…
Dr. Lucie Mbogni Nankeng
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